dimanche 2 décembre 2012

229 Père fouettard 1


Le père fouettard, c'est pour bientôt !


Alors pourquoi ne pas consacrer quelques posts à ce mystérieux monsieur qui s'invite chez les dames ?

Euh... ce n'est pas un personnage pour faire peur aux enfants ?

A la base oui, mais voyons un peu comment il s'est glissé petit à petit dans l'intimité des dames. Je commence par un peu d'histoire.

Dans la région de mon enfance, le Bas-Rhin Allemand, le 6 décembre c'est la fête du Saint Nicolas. Selon ses apparences c'est une sorte de père Noël qui se distingue de ce dernier par un bonnet d’évêque, faisant allusion à un personnage historique, Saint Nicolas de Myre qui a inspiré cette coutume. Ce monsieur avec sa longue barbe blanche et sa soutane rouge se déplace en compagnie de son fidèle serviteur, appelé le père fouettard du côté français, et Knecht Ruprecht du côté allemand.

Dans ma région Saint Nicolas débarquait dans les familles avec un grand livre dans lequel était consigné le comportement de chaque enfant au fil de l'année. Il commença par une lecture haute voix sans oublier aucun détail. Procédure qui pouvait tourner selon les parents à l'humiliation pour certains enfants (par exemple : je vois que tu fais encore pipi au lit ), soulignée par la présence d'un assez effrayant Knecht Ruprecht avec un fagot de branches de boulot destiné à symboliser la punition pour les mauvais actes. Et seulement les enfants sages avaient droit aux cadeaux.

Personnellement, gamine, je n'ai plus trop connu ce folklore dans toute sa étendue. Chez moi on mettait une grosse chaussette le 5 décembre avant de se coucher pour découvrir le lendemain matin les cadeaux. C'est un petit Noël avant le vrai et à partir de cette date on trouve chaque matin pour le petit déjeuner jusqu'au fêtes un Saint Nicolas sous forme de délicieuse brioche avec des amandes, raisins de Corinthe et nappage de sucre glacé. Et même adulte si je séjourne chez mes parents en cette période de l'année, mon papa se dépêchera pour m'acheter mon « Weckmann ». Voila tout cela pour dire que j'ai eu connaissance très tard du rapport de la Saint Nicolas avec la fessée.

C'est à l'adolescence lors d'une boum que j'ai eu mon premier contact avec ses deux personnages réunis et j'ai su par la suite que les garçons s'étaient bien disputés pour le droit d'enfiler le costume du Knecht Ruprecht. Quand au fouet de ce père fouettard improvisé, il était muni d'une vasta ou aussi dite vihta que l'on trouve dans certains saunas familiaux allemands. Il s'agissait d'un pur amusement pour faire rire les filles. Ce qui a fort bien marché en accompagnant les doux coups sur les derrières. L'adolescence me semble propice à l'évocation de coutumes en rapport avec la fessée qui en quelque sorte simule parfaitement par son gestuel les futures galipettes sur un niveau assez innocent. Et de se faire menacer d'une bonne fessée, me paraît plutôt un joli compliment pour exprimer avec d'autres mots l'attirance que la fille exerce sur le garçon. Ceci dit, pays largement égalitaire oblige, rien n’empêche les filles allemandes pour menacer pour leur part aussi les garçons. D'ailleurs de l'expérience personnelle un garçon va tendre plus facilement son derrière qu'une fille.

Il ne m'a pas fallu cette boum pour qu'un père fouettard se glisse dans mes rêveries. Il a été présent très tôt sous des traits les plus différents. Un homme mur : oncle, voisin, commerçant de proximité, père de mes copains ou copines etc. Et même adulte j'ai gardé ce goût pour les hommes plus âges que moi. Mon chéri est de presque 16 ans mon aîné. D'ailleurs à chaque fois que ma culotte descend pour une vraie punition, je me sens de plus sacrement rajeunie. J'aime être remise en place par un homme qui dégage naturellement de l'autorité. Non seulement à mes yeux, mais aussi aux yeux de son entourage.

La rencontre avec le mystérieux Knecht Ruprecht m'a apporté un joli frisson de plus qui me manquait avant. Car pas besoin d'attirer ou séduire ce charmant monsieur. Oh que non. Il se présente sans que l'on ait demandé sa venue au domicile de dames, de préférence pas sages pour ouvrir son grand livre et demander des comptes pour leurs mauvais comportements. C'est une belle alternative à la poésie d'une confession classique avec un côté aventureux et effraiement plus intense. La relation entre appréhension et excitation largement connue, on se doute peu alors pourquoi certaines grandes filles se découvrent des sueurs langoureuses à l'idée d'entendre frapper ce personnage à leur porte.


24 commentaires:

  1. Je comptais en parler aussi, du père fouettard. Chez nous, en Belgique, il s'appelle également "zwarte Piet" (Pierre le noir) A l'origine, il est apparu dans les années 1800 lorsque les gens associaient la venue de Saint Nicolas avec celle de son opposé, le diable. Symbolisé alors par un homme de couleur, qui à l'époque faisait très peur.

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    1. Bonjour Isabelle, bonjour miss Latis !


      Ah, ce fameux Père Fouettard et son fidèle valet hirsute Ruppert !! Quel affreux duo !
      Mes cousins d'Alsace m'ont parlé de cette tradition très prisée chez eux et chez leurs voisins allemands et belges en particulier. Qui font rire les parents et impressionne les enfants !
      La légende rapporte aussi le fameux épisode de l'évêque Nicolas (IVè.s. ap.J.C) chez un aubergiste et du célèbre "miracle du saloir" duquel le saint homme ressuscita trois enfants égorgés (quelle horreur!!) que le tenancier projetait de cuisiner pour son hôte de marque !!! A la suite de quoi, l'homme se confessa et se convertit, au vu de ce prodige. Et le calendrier fixa (?)cet évènement à la date du 6 Décembre. Une sorte de pré-Noël pour tous les enfants, sages...ou non !! C'est du moins ce que m'ont raconté mes cousins.
      Voilà, ce que j'en sais. Mais vous connaissiez certainement cet épisode .
      Sur ces précisions, je vous souhaite bon appétit et bonne journée à Vous. Respectueusement. Georges

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    2. @Latis : Zwarte Piet, tiens, c'est comme en Hollande. J'avais déjà entendu ce nom car le Bas-Rhin de mon enfance est proche de la Hollande et de la Belgique. Merci pour vos précisions historiques. J'étais seulement au courant de la proximité avec le diable.

      Ceci dit, il me tarde de lire votre post sur le père fouettard.

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    3. @Georges : mais non, je n'étais pas au courant de cette anecdote qui me fait penser au film avec Fernandel : l'auberge rouge ! Disons quand j'étais gamine je n'avais pas grande chose à craindre du père fouettard. J'étais une enfant sans problème et en permanence de bonne humeur. En gros cela n'a pas trop changé. Je vous souhaite également un très belle soirée Georges !

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    4. Bonjour Isabelle !!


      Comme vous j'étais un garçon calme et un peu rêveur(trait de caractère que l'on prenait à défaut comme "lenteur"!).Donc je n'avais rien à craindre de cet épouvantail folklorique qui n'était pas à l'ordre du jour dans ma région natale. Chez mes cousins alsaciens, en revanche...
      Votre comparaison entre mon anecdote rapportée et le drame filmé de l"Auberge Rouge" (1951) avec le talentueux Fernandel est un tragique parallèle. Cette tragédie vérédique des aubergistes assassins aux confins de l'Aveyron valut à ces derniers de subir la peine capitale vers 1833 environ.("Quid" chap. "affaires policières", 1987). La cruauté des hommes n'a pas de limites. Hélas ! Mais je déborde une fois de plus du sujet. Mais pourquoi pas...
      Sur ces bonnes paroles, je vous souhaite, chère Isabelle, une bonne après-midi. Respectueusement. Georges.

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    5. Débordez cher Georges, débordez. Combien de fois je pars sur un sujet pour me trouver à la fin avec un texte d'un tout autre contenu. Ou je me perds sur un fil et je découpe pour en faire un sujet pour un autre jour. Il me semble très difficile vu notre implication fantasmatique dans le sujet de rester toujours la tête froide et avec l'impartialité. C'est peut-être cette forme d'expression libre qui convient le mieux pour mettre en mot ce qui est irrationnel à sa base. Ceci dit n'allons pas trop loin tout de même...

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  2. Ce même évêque Nicolas est aussi connu pour avoir mis son poing dans la figure d'Arius, considéré comme hérétique, pendant le concile de Nicée en 325 - sans doute il était encore assez jeune pour se passer du père fouettard... (pour l'exactitude, je crois bien que l’Église a reconnu récemment que la légende du saint amalgamait plusieurs personnages et histoires fictives et a fini par rayer ce pauvre Nicolas du registre de ses saints).
    J'ai aussi connu en Pologne ce "petit Noël" de la Saint-Nicolas - ce même saint Nicolas refaisait un tour pour Noël. En revanche, le folklore n'était plus vraiment pratiqué: la chaussette ou les chaussures perduraient dans des expressions seulement. Par contre, quand j'étais petit, mes parents s'ingéniaient à déposer le cadeau sous mon oreiller pour que je le découvre le matin du 6 décembre. C'était la même hésitation pour son costume - à l'école on faisait encore une animation avec un type en costume d'évêque avec sa mitre et crosse, mais on voyait partout des pères-noël commerciaux en leur costume Coca-Cola (oui, ce sont eux qui l'ont inventé). Il était censé donner des cadeaux uniquement aux enfants sages, mais pour les vilains, il n'avait pas d'acolyte: il devait déposer des verges à la place du cadeau. Ce qui fait qu'il y avait toujours quelques petites verges de bouleau accrochées au sapin de noël, ou qui pendait au ruban d'un vrai cadeau.
    Pourtant, je n'aurais pas été mécontent de découvrir l'auxiliaire méchant du père noël!

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    1. Merci pour ce riche matériel historique et pour les détails persos, Simon. C'est vrai j'avais jamais fait le rapprochement entre les verges de boulot au sapin de noël et le père fouettard. Comme vous, je me sens un peu dupée dans l'enfance parce que personne ne m'a parlé de ce personnage.

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  3. Décidément, vous inspirez mon épouse! Celle-ci est bien décidée, quand les enfants auront été laissés chez les grands parents, à jouer à la "mère fouettarde" avec cet argument imparable que j'aurais été un vilain garçon cette année.

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    1. Il existe effectivement sur certaines cartes postales la version féminine du père fouettard. J'en mettrai quelques liens en ce sens samedi. C'est une adorable mère fouettarde, mi femme, mi démon. Elle a bien raison votre dame de prendre égalité à la lettre !

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    2. Vous avez raison, Madame apprécie la symétrie dans nos relations.

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    3. Re-bonjour Isabelle !


      Décidément, la fête de Nöel rappelle bien des souvenirs à chacun de nous, agréables ou non.
      La date de Nöel fixée au 25 Décembre a longtemps été sujette à de nombreuses discussions, théologiques notamment.
      La nuit du 24 Décembre est, semble-t-il, la plus longue de l'année (solstice d'Hiver/21 décembre)exactement 6 mois après la nuit de la Saint- Jean (24 Juin- solstice d'Eté et ses fameux "Feux"),la nuit la plus courte. Astronomie et Religion ont souvent inspiré aux Hommes bien des théories sur sa place dans l'Univers.
      Certains anciens peuples celtiques, parait-il, ne retenaient que 2 saisons: l'Eté, au mois de Mai(?) et l'Hiver qu'ils faisaient débuter au mois de Novembre où la nature en sommeil était régie par les divinités souterraines.
      De même, la date du Jour de l'An a varié également. C'est sous le règne de Louis XI qu'elle fut fixée une fois pour toutes au 1er Janvier. Auparavant, l'année débutait...au 1er Avril !!! Aujourd'hui encore, les fameux "Poissons d'Avril" rappellent ce moment où l'on s'offre... des blagues, en guise d'étrennes et de faux-cadeaux, vestiges de cet ancien évènement calendaire.
      Mais nos experts en Histoire pourront peut-être combler nos lacunes en ce sens. Non ?
      Sur ce, je vous souhaite, chère Isabelle, une bonne après-midi. Respectueusement. Georges.

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    4. Sans être un expert en tout (ce qui signifie en général: en n'importe-quoi), je peux apporter quelques détails... si ça intéresse vraiment quelqu'un parce que je ne vois pas franchement le lien entre le calendrier et la fessée. En tout cas, si vous aimez ça, on a là la preuve d'un certain masochisme, la matière est aride au possible. Je ne reprends pas l'astronomie (ça doit se trouver dans des manuels de collège, en tout cas c'était là "de mon temps"), en revanche les discussions autour du calendrier et du comput (détermination des dates des fêtes mobiles) n'est nullement de la théologie qui se définit comme discours rationnel sur Dieu - tout au plus c'est de l'observance rituelle. Ce genre de choses peuvent diviser des Églises, mais ce n'est pas de la théologie: on est loin des questions centrales comme le "filioque".
      Toujours est-il que la date en question est conventionnelle, et on la sait fausse (tout comme est fausse la traditionnelle date de naissance de Jésus), mais l'essentiel c'est que tout le monde a fini par l'accepter.
      Pour les peuples celtiques - je ne vous suis pas: quels peuples, quand, où? Il y a beaucoup de peuples celtiques, on les trouve à des époques différentes dans la bonne partie de l'Europe, ils ont existé pendant à peu près un millénaire, et on sait très peu de choses solides sur eux, en revanche les deux derniers siècles ont accumulé beaucoup de folklore sans aucun fondement, du coup, il vaut mieux se méfier, d'autant plus que les vraies connaissances se limitent à quelques points de linguistique et les résultats de fouilles archéologiques. Mais possible qu'ils aient divisé l'année selon deux saisons solaires - je parie que quelques peuples de la savane font de même.
      Quant à la date du début de l'année, le 1er janvier (emprunté aux institutions romaines mais identifié à la date de la Circoncision de Jésus) est seulement l'une des possibilités. Les autres, parmi les variantes "chrétiennes", sont le 25 mars (Annonciation), Pâques, ou Noël, à quoi s'ajoute la Saint-Martin, le 1er septembre (à la byzantine) et le 1er mars (style précésarien). Le 1er janvier à été imposé en France seulement par l'édit de Charles IX de 1563 (et non Louis XI), remplaçant l'ancien style selon pâques (et non 1er avril, sauf si le jour de Pâques tombe telle année au 1er avril) dans d'autres pays il s'est imposé entre le XIVe et la fin du XVIe siècle: pour l'Allemagne, cela varie d'une ville à l'autre).
      Mais où est le père fouettard là-dedans?

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  4. Sans vouloir faire du sophisme inutile et sans avoir lu votre intéressant commentaire, Simon j'avais déjà mis en rapport la saint Nicolas et Pâques dans la suite de mon sujet autour du père fouettard que je vais publier ce soir. Ce sont évidement des idées personnelles sans prétention scientifique qui restent plus proches au sujet que l'ami Georges.

    En fait certaines coutumes de Pâques semblent se nourrir de la fessée/flagellation sous forme de rite de fertilité. Comme instant de l'année pour redonner vigueur aux pulsions en analogie avec la nature qui se réveille et la monté de la sève. Cette fessée de Pâques me semble l'ouverture d'une fête des sens sans aucun rapport avec une thématique punitive. Ce qui pointe peut-être vers des origines païennes comme vénération de la pulsions pure.

    A ceci s'oppose la thématique du père fouettard (dont je ne saurais dater l'origine) qui semble être mis en rapport avec des punitions pour certains actes commis au fil de l'année. On dirait qu'il apporte une culpabilisation des pulsions. Je pense que la nature des actes répréhensibles peut se confondre en grande partie avec une certaine incapacité de différer ses pulsions et besoins. Je ne saurais dire s'il s'agit de l'influence du christianisme. J’opterais plutôt pour une surestimation croissante de soi-même dont est victime l'être humain avec la croissance de son savoir. Car par exemple l'influence du siècle des lumières sur la notion des pulsions en voulant leur appliquer des concepts comme le contrôle et la maîtrise me paraît autrement néfaste. C'est d'ailleurs justement à cette époque où nous rencontrons les premières ébauches du concept de la perversion si je me souviens bien.

    Bon, je ne vais pas me laisser aller à des spéculations sans fondement. De toute manière je lis plus de sources qui donnent une approche analytique de l'existence que historique.

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    1. Je trouve que vous êtes très loin du sophisme, Isabelle! Et vous avez bien fait de me faire relire votre billet, il donne à réfléchir! Je suis tout à fait d'accord pour souligner la différence entre les rites incluant la flagellation à Pâques et à Noël (c'est une belle façon de récupérer la discussion précédente, si la date du début de l'année n'avait pas de rapport à la fessée, là, il y en a bien un). En Pologne, le lundi de Pâques l'usage actuel qui amuse les enfants, les adultes moins, est de s'arroser mutuellement d'eau: c'est clairement un rite de fertilité, mais il succède à une autre pratique: anciennement, les garçons prenaient des verges bourgeonnantes pour en frapper les jambes des filles. C'est plus cru et clairement moins métaphorisé...
      En revanche, les pères fouettards - et ce que vous dites du Krampus autrichien semble révélateur - me semble relever plutôt du carnavalesque: on personnifie et on exprime ce qui autrement est interdit. Je crois (mais je spécule sans fondement autre que des rapprochements vagues) que sa moralisation est tardive et vraisemblablement arrive au même moment que l'infantilisation dans un processus qui d'une tradition vivante fait un folklore enfantin lisse et inoffensif, assez typique du XIXe siècle. Je ne suis pas vraiment sur mon terrain - c'est de l'anthropologie plus que de l'histoire - mais je pense que les flagellations de Noël ne sont pas vraiment plus morales (seulement superficiellement et inessentiellement moralisées) que celles de pâques.
      Je suis tout à fait d'accord avec votre idée de la capacité de différer la satisfaction comme sens de la morale (principe de raison contre principe de plaisir, en vocabulaire qui m'est plus proche), mais je ne pense pas qu'il s'agisse de quelque chose de propre au christianisme: ce dernier tend effectivement à accentuer le sentiment de culpabilité et la soumission à une autorité pensée comme figure paternelle, mais le principe de différer la satisfaction est plus large, et n'a pas besoin de reposer sur la culpabilisation.
      J'avoue que je suis plus dérangé par vos dernières idées. c'est peut-être mon attachement aux Lumières, mais je suis assez réticent à entrer dans une optique morale qui revient ici à charger les Lumières et plus généralement la raison du péché d'orgueil. On reviendrait alors à la culpabilité, tout en suivant la pente du discours ambiant contemporain qui valorise la satisfaction immédiate et le "bien-être". Si l'entreprise de la maîtrise des passions s'inscrit dans le temps long (et le christianisme y a un rôle énorme, les Lumières apportent à la fois un changement important auquel vous faites allusion (c'est ce que décrit Foucault) mais sont aussi dans la continuité. S'il faut chercher un mal, je le verrais moins dans l'accroissement du savoir, l'orgueil coupable ou la volonté de maîtrise que dans les contradictions et non-dits culturels (donc, l'inconscient collectif), plutôt du côté de l'époque victorienne que des Lumières: mais on ne résout pas les contradictions sans les rendre conscientes. D'où le besoin constant du travail de réflexivité,

      Comme vous voyez, je n'ai pas plus de fondement que vous - mais il est vrai qu'une différence de culture entre la psychanalyse et les sciences sociales joue ici.

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    2. Bonjour à vous, chère Isabelle, cher Simon !


      Une fois de plus, je ne suis pas mécontent d'avoir anticipé sur vos réflexions respectives autour du sujet qui nous occupe. Je précipite un peu les choses mais pourquoi pas ? Vous êtes tous deux des esprits très éclairés sur le sujet et vous rivaliser d'adresse dans cet exercice. Bravo ! Egalité partout ! Quant à moi , je me retire de la scène... sur la pointe des pieds !(Rires). Je ne voudrais nullement gâcher votre joute verbale. Bonne journée à Vous. Respectueusement. Georges.

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    3. Cher Simon, je viens de consulter quelque sources à ma disposition qui parlent de l'apparition du qualificatif de la perversion entre le XVIII ème et XIX ème siecle. Ceci dit l'auteur semble justement se baser sur Michel Foucault auquel vous faites allusion et dont une lecture très lointaine a sûrement du m'inspirer certaines idées. Étant sur un terrain où je manque de compétences je préfère mettre en doute le bien fondé de ma critique à vif des lumières. Ceci dit je poursuit votre piste de l'inconscient collectif.

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    4. Vous avez tout à fait raison sur ce point! J'aurais dû être plus précis: le terme de perversion et la médicalisation de la folie qui porte toujours une composante morale est bien un trait de l'époque moderne (c'est plus large que les Lumières, mais Foucault remonte bien en plein XVIIe siècle, et cela se poursuit bien après les Lumières, avec Charcot et ses sornettes aristotéliciennes sur l'hystérie encore à la fin du XIXe). Mais si la médicalisation est moderne, l'idée de différer la satisfaction et maîtriser les pulsions est bien antérieure, même si elle prend une forme différente. Le tournant du XVIIe siècle, suivi des Lumières, joue donc bien sûr un rôle et porte même un durcissement, mais je ne pense pas que la confiance en la raison ou la volonté de maîtrise des passions soit directement productrice de la névrose, d'où ma référence aux non-dits de la société bourgeoise du XIXe. Je recule aussi devant les implications de l'idée que cette volonté de savoir et de maîtriser serait néfaste en elle-même qui me semble porter un risque de valoriser au détriment de la réflexivité, la satisfaction du désir et la tranquillité de l'inconscient.
      Mais je suis un attardé de moderne: la "volonté de savoir" (merci Foucault, justement) me tient.

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    5. Zut, je ne suis pas au top de ma forme en ce moment. Je m'exprime mal.
      C'est le concept de la maîtrise et du contrôle ni ne convient pas selon à moi aux pulsions de l'être humain. Comme remarque Freud on peut contrôler ses muscles comme ceux de nos besoin naturels et qui donnent un prototype de la contrôle et de la maîtrise que l'on puisse appliquer dans une certaine mesure sur la nature. Par contre une pulsion ne se contrôle ou maîtrise pas et la maladie apparaît justement en essayant de faire ainsi. Le terme qui convient c'est son intégration (harmonieuse) dans notre personnalité. Comme pour vous Simon la volonté de savoir est une cause majeure de mon agir. Quand je fais de la physique cela peut déboucher à la contrôle d'un processus, mais quand je fais de l'analyse je peux seulement intégrer le savoir sur une pulsion sans pouvoir la maîtriser pour autant. Voila l'erreur de réflexion de Sade et des es adeptes selon moi.

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    6. Si, si, je vois bien ce que vous voulez dire. En fait, ce qui joue ici, c'est, je crois, une différence de point de vue: avec la psychanalyse et sa pratique thérapeutique, vous vous placez d'un point de vue de l'individu, alors que moi, avec ma culture de sciences sociales, j'ai tendance à regarder du point de vue de la société et du temps plus long, avec moins de considération pour la subjectivité des êtres humains particuliers. Évidemment, on ne peut pas contrôler une pulsion à la manière d'un muscle. Et la réflexion sur un sujet comme le nôtre, indépendamment de l'outillage théorique qu'on utilise, peut permettre d'intégrer cela d'une façon socialement acceptable. La médicalisation moderne est sans doute une forme de contrôle social dur, mais toute société est fondée sur un système d'interdits, même si elle s'affiche comme permissive, et elle exige inévitablement un certain degré de capacité de différer la satisfaction (le principe de réalité). Ce qui me semble pathogène, c'est que dans le cas de la société bourgeoise (disons, victorienne) dont la nôtre est largement héritière, la même société produit en même temps des pulsions et les interdits qui les excluent. Il y a peut-être une différence importante entre nos approches ici - si on se place d'un point de vue individuel et thérapeutique, la pulsion est plus ou moins une donnée dont on peut essayer les manifestations. Mais même si en pratique, un individu ne peut la contrôler, sur le plan théorique elle m'apparaît comme quelque chose de produit (inconsciemment, bien sûr), déterminé par les rapports sociaux et donc changeant et malgré tout appartenant (un peu comme l'économie) au champ de la responsabilité, à la différence des phénomènes physiques.
      Reste bien sûr la question de l'articulation entre l'impossibilité de contrôler ses pulsions (et même les sentiments tout à fait consciemment ressentis) et la nécessité de maîtriser les actions et d'en répondre - que Sade d'ailleurs évacue sans se la poser vraiment. Mais je suis assez surpris de cette référence: sans prétendre en être spécialiste, Sade et ses compilations n'ont guère d'intérêt philosophique - mais pour lui, on suit la pulsion en soumettant les faibles et les réduisant au rang d'objet. On est loin de l'idée de maîtrise, régulation voire redressement qui traverse l'âge moderne - simplement parce qu'il n'est pas représentatif, tout au plus érigé a posteriori en emblème du libertinage qui est un aspect mineur des Lumières. Si on regarde Diderot, pourtant "La Religieuse" lui a valu une réputation sulfureuse, il est passablement puritain.
      Je ne saurais pas situer exactement l'apparition de l'idée de perversion... Mais le problème se pose dès avant les Lumières - Descartes se contorsionne en vain dans le Traité des passions de l'âme pour expliquer cette "passion" (c'est-à-dire, ce que l'âme subit, opposé à l'action), et si on va aux Lumières, Kant assimile carrément la passion de l'âme à la maladie...

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  5. Mais Georges, je ne fais pas de la compétition de connaissances avec Simon. Sans vouloir m'avancer sur Simon, pour ma part ce qui animé mon agir c'est la recherche de la "vérité" sur le sujet qui nous intéresse. Qu'elle soit historique ou psychologique.

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  6. Merci pour vos explications Simon. Elles me permettent de mieux situer certaines de mes idées et questionnements dans le temps.

    Oui, j'aime le potentiel de réflexion qu'offre la psychanalyse et il n'est pas un hasard que je cite de Sade. Je crois que c'est Jean Pierre Castel qui voit dans le siècle de lumières aussi l'aspect de mettre lumière dans ce qui est le plus sombre dans l'être humain. Les concepts de maîtrise et du contrôle, comme aussi de perte, de destruction et de possession permettent de mieux comprendre la charge émotive de ce monde sombre. Je pense sans la psychanalyse on aurait oublié Sade depuis longtemps. Ceci dit je reste toujours très proche de mon blog dans mes réflexions. Je cherche en ce moment des critères objectifs pour positionner le fantasme de fessée à rapport du monde S/m. J'ai quelques idées et pistes pour la semaine à venir !

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    1. Bonjour Isabelle!

      Votre questionnement touche à un point essentiel de votre Blog.
      J'ai l'impression que, dès qu'on évoque le lien entre douleur (voulue ou non) et plaisir, le mot "S/M" vient à l'esprit. Souvent, on entend :
      " Faut être complètement Maso pour aimer se prendre des baffes ou des coups de fouet !!!" C'est souvent cette image du S/M que le grand public retient de ce contexte.Et l'on imagine les caves sombres et froides où les adeptes de ce "sport" exerce leur art. En tout cas, deux noms reviennent souvent pour l'illustrer: Le tristement célèbre Marquis Donatien de Sade et Sader-Masoch. Le sadique tire son plaisir, dit-on, de voir souffrir ses "victimes" et le masochiste, en victime consentante, endurerait ses souffrances, afin d'obtenir les faveurs de celui ou celle qui "vampiriserait" sa personne. Ont-ils exerçé une influence réciproque sur leur personnalité ou sur leur époque contemporaine.
      Bonne question, non ?
      Sur ces bonnes paroles, bonne journée à vous. Respectueusement.Georges

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  7. Les posts sur le rapport entre S//m et fessée sont en travail, cher Georges. J'ai quelques éléments vraiment nouveaux qui manquent dans les considérations à ce sujet. Seulement étant avec ma petite famille victime d'une grippe carabinée nous tournons au ralenti. La petite vient tout juste à reprendre l'école maternelle après une semaine et demi d'absence.Pour ma part la tête est encore trop prise pour les réflexions complexes. Ceci dit aucune urgence si c'est posté cette semaine ou une autre. Puis je viens de finir un petit truc sur le fétichisme des tabliers... 

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