jeudi 17 janvier 2013

264 Fantaisies punitives chez les filles


Et qui d'autre que des filles pourrait en parler le mieux ?


Il est intéressant à noter que la fille de Freud, Anna, se penche sur cette thématique dans une conférence de psychanalystes en 1922. L'article est paru sous le titre : «Fantasmes de fustigation et rêve diurne  ». Je n'ai malheureusement pas trouvé de lien vers ce texte en langue française. Alors seulement un pour les personnes qui lisent l'allemand (Schlagephantasie und Tagtraum ). Je trouve ce travail remarquable. Il contient pour moi entre autres un mécanisme plausible comment une femme à partir de tels fantasmes peut arriver à la création littéraire. Voila qui jette une lumière sur le succès que rencontrent les livres de la comtesse de Ségur par exemple. J'y reviendrait plus tard.

Se basant sur le travail de son Papa Anna développe une théorie fort intéressante vers la compréhension du fantasme de la fustigation chez certaines filles. Et moi aussi je m'y retrouve ... partiellement. Car soyons clairs, d'après nos connaissance d'aujourd'hui Papa Freud décrit dans son célèbre article « Un enfant est battu », seulement une variante bien spécifique du masochisme, c'est-à-dire le masochisme  masculin chez ...les filles. (Merci Simon!)

Anna pointe sur le fait que la culpabilité dont parle son père peut concerner chez certaines filles (personnes ; ayons les idées larges de nos jours !) moins la fantaisie elle-même que « l'activité manuelle » y liée. Veut dire les jeux solitaires sous la couette. Et c'est là que se montre le pragmatisme féminin qui ne veut pas renoncer en bloc à cette source de plaisir. Il y a donc tentative dans un premier temps pour séparer l'évocation imaginative de l'action manuelle. Mais en fait cela ne marche pas trop bien. (Je pense à mes propres et très nombreuses « tentatives et rechutes »!)

Par contre pour déguster le plaisir le plus longtemps possible sans tomber dans les mauvaises habitudes il suffit d'ajouter une multitude de détails à la fantaisie. Comme une description d'une école, de la maison de correction ou du pensionnat dans lequel vont se pratiquer les punitions. Ainsi des chapitres sur le règlement à respecter, les rituels de punition, les instruments, tandis que les personnes restent au début vagues. Voila un astucieux processus qui augmente la tension intérieure, l’excitation pour ainsi dire et qui semble de plus promettre un plaisir final plus intense. Mais au bout du compte, cette tentative de séparer fantaisie et satisfaction physique échoue aussi. Et nous arrivons à une autre prouesse de l'esprit humain. La fille laisse tomber sa « vilaine histoire » et se tourne vers quelque chose de nouveau.

Et c'est ainsi que la « belle histoire » voit le jour avec des personnages en apparence positives et bien décrites. Avec une vie sociale et familiale, des noms, des traits de visages, de caractère etc. Seulement persiste une configuration de base qui reflète l'ancienne situation. Il y a au lieu de la situation adulte/enfant un fort et un faible. Par exemple sous forme d'une histoire de chevaliers dont l'un est capturé et mis en prison par l'autre. Le faible sans que cela fût dans son intention a commis un acte qui ne convenais pas au fort. Nous trouvons donc la peur du faible de la découverte de son acte, sa peur de la réaction du fort, sa peur de la punition, l'imagination des punitions/tortures les plus diverses. La tension monte, mais au lieu d'une punition on y trouve un dénouement de plus construit avec pardon et réconciliation qui rétablit l'harmonie entre le fort et la faible.

Moi aussi je me suis un peu perdue sur la piste des belles histoires quand j'étais gamine et ado, mais peut-être disposant d'une censure interne moins rigoureuse je me suis permise plus de petites satisfactions purement charnelles. Mais retenons l'essentiel comme décrit par Anna :

Un besoin de punition concernant mes activités manuelles !

Combien de fois j'ai rêve que quelqu'un s’aperçoive de mes pratiques honteuses et me punisse à la hauteur de mon méfait. Que l'on m'interdise strictement de continuer en m'imposant une surveillance étroite ou un dispositif rendant impossible l'acte Voila donc quelques les racines rationnelles de ma discipline domestique. J'en parlerai plus en détail dans un autre post pour ne pas perdre ici le fil de mes réflexions sur les fantasmes punitives.

J'aimerais maintenant pointer vers une catégorie d'histoires qui ne se sont pas déplacées comme chez Anna hors famille, mais qui restent dans le cadre familial. A mes yeux elles occupent le lien entre la constellation de base de chez Anna et les belles histoires. De plus la punition se justifie par un contexte culturel et/ou moral. En évoquant des petites fautives et les punitions qui en suivent, le regard se tourne facilement vers ... la comtesse de Ségur.

Sur un point de vue psychanalytique ses écrits sont considères comme un roman familial sur un mode sadomasochiste. Le roman familial est une fantaisie diurne consciente plus ou moins élaboré qui permet de désamorcer la situation œdipienne. Le personnage paternel (tiens en voyage par exemple) est dévalorisé et remplace par plus fort que lui, un être tout puissant et qui pourrait mieux occuper une telle place que Dieu. Il en reste du père seulement un attribut de substitution qui intervient dans l'acte de la punition, le fouet ou les verges, et qui est manié par la mère. Toute puissante elle aussi. Elle veille sur l'application de la loi divine, remplace la justice divine dans les affaires quotidiennes et s'occupe aussi des châtiments.

Regardons maintenant l’intérêt de l'univers ségurien pour essayer de comprendre son ingéniosité et son attrait. En fait il regorge de détails. C'est en inventant ou alternativement en lisant chaque détail que l'on gagne du temps, du temps pendant laquelle la fille est occupée avec son esprit au lieu de se perdre dans un expéditif scénario purement récréatif avec activités manuelles. La lecture de la comtesse de Ségur était donc un précieux allié de l'éducateur d'antan, car elle détourne l'esprit des jeunes filles de ce qui est vilain. Pour un temps au moins et c'est déjà cela de gagné. Donc à conseiller vivement.

Effectivement pour empêcher la vilaine main de faire son œuvre, la solution d'Anna ou de la comtesse de Ségur est incontestablement élégante :

Pouvoir prendre plaisir sans devoir culpabiliser !

6 commentaires:

  1. La comtesse de Ségur qui détourne de la masturbation, je suis la preuve vivante que ça ne marche pas... Ou alors, ça en détourne comme n'importe quelle autre lecture et activité! De sept à huit ans, j'ai lu l'ensemble des écrits de la comtesse, à un ou deux ouvrages près. A cet âge là, j'avais déjà une longue pratique des activités étranges sous la couette, et j'ai continué par la suite.
    Et je ne me suis jamais sentie coupable de ces actes. Ce qui les déclenchait, un peu, mais pas l'acte en lui même.

    RépondreSupprimer
  2. Zut alors, pour une fois que je me base sur la littérature et sur une analogie personnelle. Merci donc Constance pour un vrai témoignage à ce sujet.

    Pour ma part j'ai découvert la comtesse de Ségur, il y a sept ans. Donc sans la moindre influence sur moi et à vrai dire pas trop mon truc. Mais je pense gamine j'aurais pris pas mal de plaisir à dévorer ses livres. Je pense également en inventant des « épisodes supplémentaires » que j'aurais oublié un peu mes activités sous la couette pendant un certain temps...

    Peut-être il y a une notion qui nous échappe à toutes les deux, la peur de Dieu ? Ce qui me semble une piste intéressante, mais je n'y connais rien à ce sujet ayant eu une éducation ni Dieu, ni maître...alors je n'en parle pas !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah, c'est pas faux, c'est sûrement là que ça se joue... Même si j'étais enfant, la comtesse de Ségur me faisait soit rire grassement ("mouahahaha, la moche est encore à la messe") soit m'inquiétait ("euh... des parents qui sont dans le camp des gentils et qui méritent bien que leur enfant soit en train d'agoniser comme un martyr, c'est pas un peu glauque?"). Mais la peur de Dieu m'échappait complètement.

      Supprimer
    2. Je me suis rendue compte de l'importance de la peur de Dieu pour certaines personnes en lisant les journaux de l'écrivain allemand Max Frisch qui avait marqué :

      Peur de Dieu, avec le maillot de bain dans la baignoire !

      Cela semble dont être avant tout une question de regard qui concerne autant l’extérieur que l’intérieur. Il ne me parait donc pas un hasard que la comtesse oppose la paire laide/sotte à belle/sage. J'y vois de la manipulation de la plus subtile de faire croire aux petites filles qu'un personnage tout puissant par le biais de la baguette magique (le fouet, le verges etc) peut alors provoquer un changement prodigieux.

      Supprimer
  3. Heureusement que cet article arrive avant le week-end: il est tellement riche qu'il m'a fallu un peu de temps pour l'éplucher - et j'ai encore constaté que mon allemand est bien rouillé...
    J'ai quand même un peu surpris, lorsque tu dis "Car soyons clairs, d'après nos connaissance d'aujourd'hui Papa Freud décrit dans son célèbre article « Un enfant est battu », seulement une variante bien spécifique du masochisme, c'est-à-dire le masochisme féminin chez ...les hommes". Mais, si j'ai bien compris (et si mon souvenir est bon, les deux ne sont pas sûrs), l'essentiel de l'article de Freud parle bien des femmes, puisqu'il en a examiné quatre contre seulement deux hommes. Il est vrai qu'il interprète le fantasme de flagellation chez les femmes comme sadique. Ou alors, ce sont les connaissances actuelles qui nous font changer de perspective sur ce fantasme? si je me souviens bien de l'article de (papa) Freud, la description du fantasme chez les hommes (féminin uniquement dans le sens où ils étaient placés en position féminine) occupait seulement les derniers paragraphes du texte.
    Mais passons, l'article d'Anna Freud est très intéressant et je m'y retrouve aussi - avec quelques différences, liées sans doute au fait que la culpabilité éprouvée à propos de mes rêveries de fessée n'était pas aussi forte qu'à l'époque de la famille Freud (sur laquelle il y aurait des anecdotes amusantes à raconter - il semblerait qu'Anna a été analysée par son propre père, et que le cas de la "fille d'une quinzaine d'années" qu'elle présente soit en fait de l'auto-analyse... comme quoi, on peut avoir des conclusions intéressantes tout en faisant tous les torts possibles à la bonne méthode!). Je n'ai jamais vraiment détaché les histoires de fessée des "belles histoires" - en revanche, dans mes belles histoires, l'accent était plutôt sur le réconfort après la punition, donnée par quelqu'un d'autre, ou sur la consolation une fois que la pauvre victime était délivrée des mains de son oppresseur. Comme ça, il y avaient à la fois les bons sentiments et plein de câlins, et la scène de fessée, en flash-back...
    Le lien entre ces imaginations n'est pas évident, surtout si on prend le côté répétitif... pourtant, j'ai bien lu "Le roman des origines et les origines du roman" de Marthe Robert, qui prend le "roman familial" psychanalytique comme matrice du roman - ce qui d'ailleurs passe assez mal auprès des littéraires. Mais l'idée est intéressante. Et je n'airais pas trouvé l'idée de relier tout ça à la comtesse de Ségur - mais là aussi, c'est tout à fait convaincant. Quelqu'un relevait déjà le goût des listes chez la comtesse...
    Mais, comme toi, je l'ai découvert tard, adulte, du coup, je n'ai pas été influencé.

    RépondreSupprimer
  4. C'est toi qui a raison Simon. Mea culpa et culpa de taille. Merci pour ton attentive lecture et ta remarque. J'ai inversé l'interprétation de la pensée de papa Freud qui décrit dans « un enfant est battu » le masochisme masculin... chez les filles. J'ai donc rectifié mon post. En lisant le matériel moderne sur les différents formes du masochisme c'est l'hypothèse générale qui a dû profondément déranger mon inconscient :

    Le masochisme masculin chez la fille comme « l'autre façon d'être un homme pour une femme »; selon le brillant A. Brousselle et dont on peut trouver un extrait très éloquent de ce travail ici :

    http://www.cairn.info/revue-adolescence-2005-1-page-99.htm.

    En plus cela commence par une coupe de cheveux à la garçonne pour la fille, fantasme qui a hanté aussi ma jeunesse et qui est interprété dans cet article de manière particulièrement brillante (encore!) Toutefois ce travail montre deux approches d'interprétation bien distinctes, mais possibles.

    Ceci dit, je me souviens toujours de mon émerveillement de jeunesse à la première lecture de l'article d'Anna dans lequel je voyais enfin quelque chose bien spécifique chez les filles.

    L'idée d'appliquer Anna sur la comtesse m'est venue aussitôt en feuilletant un livre de cette dernière. Surtout ayant lu quelques textes analytiques sur le roman familial (je n'ai pas de connaissances particulières en littérature). Toutefois il me semble qu'il existe encore un autre lien entre les belles histoires d'Anna et celles de la comtesse de Ségur. Effectivement ni l'une ni l'autre en parle, mais je pense qu'il faudrait examiner d'un peu plus près le lien entre ambition personnelle, honte et fessée. Ce qui permettrait de considérer la fessée dans ces deux univers de manière indépendante de la transgression sexuelle.

    Merci pour ta version personnelle des belles histoires. Pour moi aussi le réconfort après la punition est/était particulièrement important. Merci aussi pour tes détails historiques.

    RépondreSupprimer